À l’approche de l’élection présidentielle, les campagnes de communication du secrétariat d’État aux Personnes handicapées reprennent de plus belle. Une autocélébration sous forme de spots et d’interviews multiples va se dérouler pendant plusieurs mois.
Tout se passe comme si rien n’avait été fait avant l’arrivée de l’équipe ministérielle actuelle, que l’exclusion et la relégation étaient la règle et que les établissements et services spécialisés étaient des ghettos organisés par du personnel routinier et passif. La secrétaire d’État aux Personnes handicapées, Sophie Cluzel, souhaite d’ailleurs, au nom de l’inclusion, s’en passer définitivement (voir son document publié par la Fondation de l’innovation politique en avril 2019).
Et pourtant…
En quelques décennies, la construction du secteur médico-social, grâce à l’action des associations des familles et des professionnels compétents, a été marquée par le passage de l’hospice, de l’hôpital psychiatrique ou du « maintien en famille » (les années 50 et 60), vers l’ouverture sociale des institutions, l’affirmation des droits fondamentaux des usagers, la pluralité des solutions et les choix de vie.
Un mouvement très positif d’inclusion des services et des personnes avec une forte diversification des réponses et un développement exponentiel des services par rapport aux institutions (les années 80, 90, 2000) a eu lieu et se poursuit.
Contrairement à certaines affirmations, cette évolution est parfaitement en phase avec la convention des Nations unies des droits des personnes handicapées (ratifiée par la France en 2010) ou avec la charte européenne révisée (2003).
L’accès aux droits fondamentaux (éducation, formation, emploi, logement…) s’est largement amélioré par la mise en place d’un continuum de mesures et d’une pluralité de réponses grâce à des « aménagements raisonnables », à l’accessibilité, ou encore à la compensation du handicap sous toutes ses formes.
Ces réponses se réalisent dans les espaces dits ordinaires (l’école, l’entreprise…) mais les actions compensatrices (prévues par la loi du 11 février 2005) impliquent aussi, entre autres dispositions, la mise en place d’établissements et de services spécialisés.
Listes d’attente
On doit constater que la fébrilité normative et anti-institutionnelle des pouvoirs publics ne résiste pas aux faits : les jeunes et les adultes handicapés sont nombreux à être sur des listes d’attente des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) ; ceux qui relèvent d’une inclusion plus forte ne bénéficient pas d’un accompagnement scolaire, social et professionnel digne de ce nom, ce qui réduit fortement l’objectif de participation sociale.
Supprimer les structures spécialisées pour les transformer en services de soutien et d’accompagnement en milieu ordinaire reviendrait à priver de nombreux enfants et adultes handicapés de leurs droits (voir l’exemple anglais) au travail, à une éducation et à une scolarisation adaptée, à une vie sociale.
Le rapport sur les Esat, tout à fait remarquable, de l’Inspection générale des finances (IGF) et de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), daté d’octobre 2019, confirme tout à fait ce constat. Pour ses auteurs, les établissements et services d’aide par le travail (mais c’est valable pour les autres structures spécialisées) exercent un rôle de « bouclier social », de sociabilisation et d’inclusion dans la communauté.
Des antagonismes factices
Il y a donc lieu de cesser d’opposer les réponses, spécialisées et ordinaires, mais plutôt de les assouplir, les enrichir et les rendre davantage complémentaires afin que chacun trouve sa place.
C’est pour cela aussi que les pouvoirs publics doivent renoncer à une approche dogmatique et restrictive de l’inclusion ; celle-ci s’exerce toujours plus au détriment des structures spécialisées qui pourraient être ainsi mises en difficulté, et priver un certain nombre de personnes handicapées de lieux d’éducation, de vie sociale, d’emploi et d’habitat.
Il faudrait s’appuyer, en effet, sur le dispositif existant et l’optimiser (il est globalement l’un des meilleurs d’Europe en termes d’équilibre des réponses, de qualification des professionnels, de financements…) afin de poursuivre et d’approfondir la démarche d’accroissement des droits et d’émancipation des personnes sévèrement vulnérables.
Des changements en cours ou déjà mis en œuvre s’inspirent d’un rapport dénommé « zéro sans solution » écrit par un haut fonctionnaire, Denis Piveteau.
Comme son intitulé l’indique, tous les enfants, adolescents, adultes doivent avoir, pas forcément une place, mais une solution, y compris lorsqu’elle est très partielle (une journée par semaine en institution par exemple).
On mettra donc en place pour cela une « réponse accompagnée pour tous » (RAPT) avec un « plan d’accompagnement global » (PAG) élaboré à partir d’un schéma de besoins de la personne et enfin des « pôles de compétences et de prestations externalisées » (PCPE) chargés d’un rôle de coordination des parcours et de recherche de toutes les offres possibles, qu’elles soient institutionnelles ou « en libéral ».
Des réponses insuffisantes et opaques
Les risques patents sont d’aboutir à un éclatement des prises en charge et de l’accompagnement, à une mise en place des solutions de bric et de broc et au transfert des tâches vers le milieu familial déjà bien sollicité, mais aussi à ne pas créer les services spécialisés indispensables.
De même, le projet d’un nouveau type de financement (dit « Serafin ») risque de déstructurer l’organisation des familles, le fonctionnement des établissements et services spécialisés et les parcours d’accompagnement des usagers. Son application aurait comme impact, un retour aux graves carences des années 60 et 70.
Enfin, les pouvoirs publics encouragent la mise en place de toutes sortes de plateformes, notamment les plateformes de services et celle d’un « numéro national vert » pour résoudre rapidement des besoins et des difficultés personnelles.
Cette approche, dite notamment des « communautés 360 », est peu convaincante au regard des problèmes rencontrés et de la spécificité des interventions médico-sociales ; elle réduirait, si elle était généralisée, les contacts directs et proches avec les usagers et le milieu familial. La première étude sur l’impact de cette mesure ne montre aucun résultat positif. Celle-ci participe également à l’empilement de dispositifs, devenus opaques pour les usagers et les professionnels « de terrain ».
Fondements idéologiques
Un nouveau rapport de l’Igas en 2021 ne peut que renforcer les inquiétudes : les établissements et services spécialisés – lieux d’apprentissage, de communication et de relations sociales – seraient transformés ainsi, sur le modèle hospitalier, en un lieu de consultations et d’accueils de court et moyen terme (accueils temporaires, séquentiels à durée déterminée…), ce qui supposerait une vie en famille imposée quels que soient leur âge et leur projet de vie, et une précarité de la situation des sujets handicapés et de leurs proches.
Il n’est que temps de renoncer à une orientation pseudo-réformatrice qui ne prend pas en compte ni les besoins réels des usagers et de leurs proches, ni l’avis des experts, ni l’expérience des acteurs de terrain. C’est encore le cas du nouveau modèle d’évaluation qui est fortement critiqué par les principales associations nationales supposées avoir été consultées.
Le rôle des pouvoirs publics n’est pas de s’y substituer mais d’encourager les initiatives émancipatrices et les pistes innovantes.
La poursuite de la déconstruction actuelle, sur des fondements idéologiques, d’un dispositif qui a fait ses preuves, serait lourde de conséquences à court et moyen terme, et en premier lieu pour les personnes en situation de handicap et de leurs proches.